Par Renée Greusard
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Décryptage L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a présenté ce 13 novembre sa nouvelle grande enquête sur la sexualité des Français, la première depuis 2006. En dix-sept ans, la vie intime de nos concitoyens a beaucoup évolué…
La dernière grande enquête de ce genre datait de 2006. Autant dire que si l’on s’intéresse aux évolutions de la sexualité, ce mercredi 13 novembre était attendu avec impatience : l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (Inserm) a en effet présenté les résultats de sa nouvelle étude sur la sexualité des Français. Un travail mené auprès de 31 518 personnes pour dessiner les contours et les évolutions de notre vie intime.
Sociologues, démographes, économistes… Tous les chercheurs et chercheuses qui ont pris part à cette étude soulignent des résultats témoignant d’un « contexte de profonde transformation depuis 2006, début historique de #MeToo ». Alors comment la sexualité des Français a-t-elle évolué ces dix-sept dernières années ? Voici les huit enseignements clé de cette enquête.
1. L’âge au premier rapport sexuel recule
En France, l’âge du premier rapport sexuel a reculé en 2023, passant à 18,2 ans pour les femmes et 17,7 ans pour les hommes alors qu’il n’avait cessé de baisser. Passant pour les femmes de 20,1 dans les années 1960 à 17,3 en 2006 et pour les hommes de 18,8 dans les années 1960 à 17,3 ans en 2006.
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Cette évolution s’observe également dans d’autres pays comme le Danemark, la Norvège ou la Suède. Elle pourrait s’expliquer par l’impact du Covid sur les jeunes générations, mais le mouvement ayant été enclenché avant l’épidémie, d’autres facteurs entrent en ligne de compte : « C’est aussi le fait d’une plus grande réflexivité, d’une plus grande introspection et d’une normalisation d’une sexualité non pénétrative », analyse ainsi la sociologue Nathalie Bajos, l’une des chercheuses pilotant ce travail.
2. Le nombre moyen de partenaires augmente
Ce phénomène concerne les hommes et les femmes, toutes générations confondues. Les femmes déclarent désormais 7,9 partenaires au cours de leur vie contre 4,5 en 2006 et 3,4 en 1992. Les hommes, quant à eux, en déclarent 16,4 contre 11,9 en 2006 et 11,2 en 1992. Comment expliquer ce différentiel homme-femme ? Lors de la présentation à la presse, les chercheuses qui présentaient l’étude ont avancé une idée qui peut faire sourire : « Contrairement aux hommes, les femmes ne mentionnent que les partenaires qui ont compté »…
3. La masturbation prend son envol, en particulier chez les femmes
L’évolution du rapport des femmes à la masturbation est l’un des points saillants de l’enquête. En 2023, 72,9 % des femmes de 18-69 ans déclarent avoir déjà pratiqué la masturbation. C’est près du double des chiffres de 1992 ! A l’époque, seulement 42,4 % des femmes de cette tranche d’âge déclaraient s’être déjà masturbées et, en 2006, elles étaient 56,5 %. « Aujourd’hui, les femmes ont une trajectoire de masturbation identique à celle des hommes », ont expliqué les auteures du rapport lors de sa présentation à la presse.
Chez les hommes du même âge, en revanche, l’évolution est moins marquée : elle passe de 82,8 % en 1992 à 89,9 % en 2006 et à 92,6 % en 2023.
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Autre évolution notable : alors que les femmes avaient tendance à se masturber après avoir commencé leur vie sexuelle, « aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas, explique la démographe Armelle Andro, les jeunes filles n’attendent plus d’avoir franchi cette étape pour développer une sexualité autonome ».
En 2012, Nathalie Bajos nous expliquait que « pour une femme, cela [restait] plus difficile de reconnaître qu’elle se [masturbait] ». A l’époque, les tabous sociétaux autour du plaisir restaient encore très forts, toute pratique non reproductive étant en effet historiquement perçue comme honteuse et ce, particulièrement pour les femmes. On mesure donc le chemin parcouru.
4. Les pratiques se diversifient
- Le pourcentage de personnes ayant déjà expérimenté la fellation (réalisée ou reçue) au cours de la vie passe de 63,2 % en 1992 à 78,3 % en 2006 et 84,4 % en 2023 chez les femmes, et de 75,3 % à 85,5 % et 90,5 % chez les hommes.
- Idem pour le cunnilingus (réalisé ou reçu), puisque les chiffres passent de 72,1 % en 1992 à 83,7 % en 2006 et 86,9 % en 2023 chez les femmes, et de 77,8 % à 85,7 % et 87,7 % chez les hommes.
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- La pratique de la pénétration anale (réalisée ou reçue) a également augmenté au fil du temps chez les femmes, passant de 23,4 % en 1992 à 35,2 % en 2006 et 38,9 % en 2023. L’augmentation est plus marquée chez les hommes passant de 29,6 % à 46,3 % et 57,4 %.
Chose amusante, mais les chiffres sur ce sujet n’ont pas encore été communiqués : la pénétration vaginale, elle, baisse.
5. L’acceptation de l’homosexualité progresse
Même si les chercheuses n’ont pas donné, lors de la présentation presse, de chiffres permettant d’établir une comparaison, l’enquête de 2023 démontre une augmentation de l’acceptation de l’homosexualité : 69,6 % des femmes et 56,2 % des hommes de 18-89 ans considèrent ainsi que c’est une sexualité comme les autres. Elle reste davantage acceptée par les femmes que par les hommes puisque ce sont 69,6 % des femmes de plus de 18 ans qui pensent que l’homosexualité est une sexualité comme une autre contre 56,2 % des hommes du même âge.
Autre symptôme de cette acceptation grandissante : de plus en plus de personnes reconnaissent avoir déjà été attirées par une personne du même sexe. En 2023, 8,8 % des femmes et 8,9 % des hommes de 18-89 ans disent avoir eu au moins un ou une partenaire du même sexe au cours de la vie tandis que 13,4 % des femmes et 7,6 % des hommes de 18-89 ans déclarent avoir été attirés par des personnes de même sexe au cours de leur vie.
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Ce constat est encore plus marqué chez les jeunes de 18-29 ans qui sont 32,3 % pour les femmes et 13,8 % pour les hommes à rapporter une attirance pour des personnes de même sexe.
L’enquête souligne donc une remise en cause globale de l’hétérosexualité, même si elle est « plus fréquente chez les jeunes générations ».
6. La reconnaissance des transidentités reste toujours fragile
En 2023, seuls 41,9 % des femmes et 31,6 % des hommes de 18-89 ans considèrent que la transidentité est une identité comme une autre. Concernant l’acceptation de la transidentité éventuelle de son enfant, elle est également moins fréquente que celle de son homosexualité, note le rapport : en effet, si 77,9 % des femmes et 66 % des hommes déclarent qu’ils n’auraient pas de problème à accepter l’homosexualité de leur enfant, seuls 40,5 % des femmes et 33 % des hommes déclarent qu’ils n’auraient pas de problème à accepter que leur enfant soit trans.
7. La fréquence des rapports sexuels diminue
Comme cela avait été avancé par l’Ifop en février dernier, on note bien une baisse de la fréquence des rapports sexuels. En 2023, 77,2 % des femmes de 18-69 ans déclarent avoir eu une activité sexuelle avec un partenaire au cours de l’année contre 81,6 % des hommes. Une baisse nette dans les deux cas puisque en 1992, ces chiffres étaient de 86,4 % chez les femmes et de 92,1 % chez les hommes et, en 2006, de 82,9 % chez les femmes et de 89,1 % chez les hommes. Cette baisse, souligne le rapport, est cependant « beaucoup moins marquée chez les personnes vivant en couple » et « la très grande majorité de la population a eu une activité sexuelle dans l’année, y compris aux âges les plus avancés ».
8. Mais c’est plutôt joyeux !
Cependant, comme nous le racontions l’été dernier dans notre dossier « sexe la fin des injonctions », cette diminution des rapports, confirme l’étude de l’Inserm, n’est pas nécessairement mal vécue : « Les femmes qui n’ont pas eu de rapports sexuels dans l’année écoulée déclarent majoritairement que cette situation leur convient, notamment les plus jeunes et les plus âgées. Les hommes déclarent moins fréquemment se satisfaire d’une telle situation, notamment les 40-59 ans. »
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Mieux : la satisfaction sexuelle augmente après avoir diminué ces dernières années ! Alors que 47 % des femmes se jugeaient satisfaites en 1992 contre seulement 43,6 % en 2006, elles sont 45,3 % en 2023. Chez les hommes, elle était passée de 45 % en 1992 à 35,1 % en 2006 mais elle remonte aujourd’hui à 39 %. Pour la chercheuse Nathalie Bajos, cette évolution est le signe d’une « plus grande égalité entre les sexes et les sexualités ». Les effets directs, conclut la chercheuse, « du nouveau cadre posé depuis #MeToo ». A force de parler de consentement, d’apprendre à formuler des limites, à force de vulgariser les mécanismes du plaisir, comme l’importance du clitoris, les rapports sexuels évoluent vers plus de joie. Et ce, pour tout le monde, insiste la sociologue : « Tous les discours qui reprochent aux féministes de déstabiliser les hommes dans leur virilité, leur sexualité, leur plaisir, tout cela ne correspond pas à ce qu’on observe. Depuis 2006, non seulement la satisfaction des femmes augmente, mais celle des hommes aussi. » Et c’est plutôt joyeux !