Arriver à la littérature parfois, c’est comme arriver au port. Un soulagement pour le navigateur, une épiphanie pour les lecteurs restés à quai. Une rencontre au goût de première fois et de désormais. Alors, ne laissons pas filer, en cette rentrée littéraire qui s’effiloche doucement dans l’automne, l’arrivée sous le vent de l’équipage de bric, de broc et de beauté, de « Les Enfants du large », le premier « roman » de Virginia Tangvald.
Pourquoi ces guillemets ? Parce qu’en fait de roman, c’est celui de la vie de l’autrice dont il sera question. De sa vie familiale, déchirée, sublime, tragique, fleur vénéneuse poussée des fonds marins. Virginia Tangvald est la fille d’une légende. À peu près, de nos jours, oubliée. Qui se souvient de ce fier viking, icône parmi quelques autres – en une époque (les années 1960,1970) pour qui le terme libertaire n’était pas un gros mot – des pages de magazines que l’on n’appelait pas encore « people ». Bref, Peter Tangvald en jetait, apôtre d’une navigation forcément en solitaire, sans autres instruments de mesure qu’un sextant et du flair, sans moteur, sur des voiliers construits de ses mains.
Qui se souvient de ce fier viking, icône parmi quelques autres des pages de magazines que l’on n’appelait pas encore « people »
Mauvais présage
Il y avait là, dans ces horizons lointains recherchés sans trêve ni mesure, dans cette liberté revendiquée, du Monfreid, du Moitessier, une poésie proprement rimbaldienne. Et puis, dans l’existence de cet homme vint un moment où il n’y eut plus de terres ou de mers vierges ; la circumnavigation se fit morose, la belle aube basculait dans le triste soir et ce qui devait arriver arriva. À son heure. En juillet 1991, lors d’une tempête au large de l’île paradisiaque de Bonaire (Venezuela), le bateau de Peter vint se fracasser sur le récif corallien. Le navigateur y laissa la vie ainsi que celle de Carmen, sa fille de sept ans. Seul rescapé du naufrage, son fils, Thomas. Mais lui aussi, quelques années plus tard, disparaîtra mystérieusement, avec son voilier rafistolé, près des côtes brésiliennes.
Les Tangvald disparaissent aussi violemment qu’ils vécurent. Peter, homme à femmes et « Barbe-Bleue », avait déjà perdu deux épouses (l’une assassinée par des pirates de haute mer, l’autre passée par-dessus bord…) et un frère, suicidé. Virginia avait échappé à cette sinistre malédiction puisque sa mère, fuyant cette atmosphère de mauvais présage, avait quitté son père alors qu’elle n’avait que deux ans.
Cauchemars et tendresse
Tout de même, la mort ça prend de la place. Et ses aises, dans la vie de ceux qui restent sans savoir très bien que faire de cette liberté et de cette solitude qui est leur seul vrai héritage. Virginia Tangvald cherchera longtemps. Elle a trouvé. Un livre, donc. Un monolithe sidérant de beauté sur lequel viennent se fracasser ses cauchemars familiers. Un requiem pour des anges et des démons aux figures sales. Coupables et innocents fondus à jamais dans une même faute. Une même tendresse.
« Les Enfants du large » de Virginia Tangvald, éd. Lattès, 216 p., 20 €, ebook 14,99 €.
Virginia Tangvald sera le 14 novembre à 20 h 30 la Librairie des Thés à Surgères (17), le 15 novembre à 18 h 30 à la librairie Le Passeur à Bordeaux et le 16 novembre à 10 h 30 la librairie Les Mots du zèbre à Eysines (33).