« Tout ce que j’ai vu sur Internet m’a ému alors, avec mes amis, je suis venue aider. » Ce samedi 2 novembre, Rocio, la vingtaine, s’est mêlée à la foule des volontaires venus prêter main-forte aux sinistrés de ces inondations qui ont fait plus de 200 morts dans la région de Valence. Depuis mercredi et la découverte de l’ampleur de la catastrophe, la mobilisation ne cesse de s’amplifier. Chaque jour, des milliers de Valenciens, tous bottés et armés de balais, de pelles, de bêches, de râteaux et d’une énorme dose de bonne volonté, empruntent à pied cette étroite passerelle qui enjambe l’autoroute et mène à Alfafar, à Benetússer et surtout à Paiporta, désormais ville martyre.
Ici, le vaste canal, pourtant creusé pour surmonter ces phénomènes de goutte froide, n’a pas résisté. Il n’a pu contenir ces averses torrentielles exceptionnelles. En quelques heures, des tonnes d’eau et de boue mêlées ont déferlé. Quatre jours plus tard, Paiporta n’est plus qu’une plaie béante. Même les rails du métro ont été arrachés. Voilà ce qu’il en coûte d’être en première ligne. Ce samedi, malgré les efforts de tous ces bénévoles, d’une rue à l’autre, les mêmes scènes de chaos se répètent. Un tsunami n’aurait pas fait moins de dégâts. De manière méthodique, ces flots cannibales ont dévoré chaque recoin de la ville avec une voracité rare.
Des carcasses partout
Ici, les habitants peuvent mériter le statut de naufragés. La fureur passée, l’heure est désormais à l’après. Au grand nettoyage. Et à cet exercice cruel : tenter de récupérer sa maison. Sauf que tout est à jeter. Alors qu’il reste encore près de 30 centimètres de boue dans les rues, celles-ci ne sont plus qu’un immense bric-à-brac de mobiliers, matelas, vêtements, chaussures, planches, portes enfoncées, voitures et camions pulvérisés, retournés, concassés. Comme à Algemesí, cette autre ville touchée à 30 kilomètres plus au sud, Paiporta déborde de carcasses. Les dépanneuses, qui commencent à pouvoir entrer dans la ville, ne savent plus où donner de la tête.
« On a tout perdu. Même le mur porteur a été arraché. Je n’en crois pas mes yeux »
Par endroits, l’eau est montée à plus de 1,80 m, noyant tout sur son passage. Dans la rue Primer-de-Maig, Nacho, 26 ans, couvert de boue jusqu’aux oreilles, s’affaire dans ce qu’il reste de la pharmacie familiale. « Le rideau et la vitrine blindée ont explosé », raconte-t-il. Dans le local désormais vide, les traces de boue tutoient le plafond. « On a pu sauver du lait pour les enfants, des couches et quelques médicaments qui ont été envoyés au centre de secours. Pour le reste, on a tout perdu. Même le mur porteur a été arraché. Je n’en crois pas mes yeux. »
« Le peuple sauvera le peuple »
Alors, comme partout autour de lui, il s’échine à nettoyer ce local, à arracher cette boue du sol, la repousser à l’extérieur, dans cette rue où les bouches d’égout saturent, où cette colle marron n’en finit plus de stagner et de mettre à l’épreuve les nerfs et le moral des sinistrés. Le centre-ville a des airs de marécage gluant. Ici, une image choc en chasse une autre, telle cette souche d’arbre qui a déferlé dans un salon de coiffure. Une obscénité parmi tant d’autres. Là, ce sont des pompiers qui s’affairent dans les décombres sous le regard de la Guardia civil. Le périmètre est bouclé. Les secouristes cherchent un corps. Ici, une épave de voiture sert de benne. Avant de l’évacuer, elle a été chargée de planches, de vitres… Comme un pied de nez au destin, les bénévoles ont installé sur son toit un cheval de bois. Pour lui donner de l’élan…
Seule lueur d’espoir, les volontaires. Ils sont partout. Sur la passerelle qui les conduit là chaque jour, ils ont écrit ces quelques mots : « El poble salvara el poble ». Soit « Le peuple sauvera le peuple ». Plus qu’un message. Quand ils n’attaquent pas la boue avec leurs balais, ils distribuent de l’eau et des gâteaux aux sinistrés. Il faut tenir. C’est grâce à eux que Paiporta n’a pas baissé les bras. « J’ai beaucoup d’amis ici, raconte Federico, 22 ans. Je suis venu les aider, tout ce qu’on peut faire est un plus. » Paradoxalement, cette désolation grouille de vie.
Montagne de tôle
À Benetússer, à quelques kilomètres à pied de là, le tableau est identique. Mêmes causes, mêmes effets. Dans la rue Ausiàs-March, Ruth est bloquée dans son appartement au troisième étage depuis mardi soir. Sur son étroit balcon, elle ne peut qu’observer la porte d’entrée de son immeuble bloquée par l’empilement d’une dizaine de voitures et de tout ce que les eaux ont pu charrier. Dans cette artère étroite, la scène est surréaliste. Et c’est à celle-ci, à cette montagne de tôles, que s’attaquent les volontaires. Parmi eux, Raul et ses amis : « Nous sommes venus de Madrid, de Tolède et de Barcelone avec des 4×4 pour aider à dégager les rues. Je ne pouvais pas rester les bras croisés… » Avec des sangles, et malgré la boue, ils essaient d’arracher ces carcasses pour permettre à Ruth et à ses voisins de sortir.
« Nous allons bien. Notre seul objectif, maintenant, est de sortir et d’aller aider à notre tour… »
Depuis le toit de l’immeuble d’en face, où nous avons été autorisés à monter, nous pouvons engager la conversation avec elle. « Nous allons bien, dit-elle. Notre seul objectif, maintenant, est de sortir et d’aller aider à notre tour… » Depuis notre position sur ce toit-terrasse situé au cinquième étage, la vue est saisissante. La rue de Ruth n’est plus qu’un inextricable enchevêtrement de débris. Un peu plus loin, un grand drap blanc a été étendu à la fenêtre : « Tots a una, veu germans vingau, gracias por vuestra ayu da », est-il écrit. Soit : « Tous ensemble, frères venez, merci pour votre aide ».
Dans la ville voisine d’Alfafar, Alexandro, lui, a perdu sa discothèque. L’un des murs a cédé sous la pression de l’eau, qui a noyé l’établissement. Aujourd’hui, il ne reste plus que le comptoir, baignant là encore dans un lit de boue, et une ouverture béante. « Tout est détruit », indique-t-il. Dans la rue derrière, un bateau trône sur une voiture… Entre les va-et-vient des hélicoptères, les sirènes incessantes des véhicules de secours et l’arrivée de l’armée, le sud de Valence ressemble à une immense scène de guerre.