Par BibliObs
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C’est pour « Le Bastion des larmes », conte sensible sur la condition des minorités au Maroc.
C’est déjà décembre ! Non pas le mois, mais le prix (on ne s’en lasse pas). Cette année, il revient à l’écrivain marocain Abdellah Taïa pour « Le Bastion des larmes » (Julliard) un roman sensible sur la terrible condition des minorités dans son pays d’origine. Son texte a donc été préféré à deux livres publiés au Seuil : « Ann d’Angleterre », dans lequel Julia Deck fait le récit de ses tourments familiaux, toujours en lice pour le prix Médicis, et « Les Derniers Jours du Parti socialiste », fable politique signée Aurélien Bellanger autour du Printemps républicain, qui avait suscité quelques débats passionnés − surtout chez les principaux visés.
Né à Salé, au Maroc, en 1973, Abdellah Taïa est l’auteur d’une dizaine de romans, dont « Une mélancolie arabe » (Seuil, 2008), « le Jour du roi » (2010, prix de Flore), « Celui qui est digne d’être aimé » (2017) ou « Vivre à ta lumière » (2022). Il a réalisé en 2014 « l’Armée du salut », d’après son roman éponyme (2006). Il avait également marqué les esprits en apparaissant en couverture du magazine marocain « TelQuel » en 2007 sous le titre : « Homosexuel, envers et contre tous ».
« Le Bastion des larmes » met en scène Youssef, un professeur exilé en France depuis un quart de siècle, qui entend des voix. Plus précisément celle de Najib, son premier amour. Celui-ci, homosexuel, a enduré toutes les misères à Salé, au Maroc, avant de trouver refuge auprès d’un puissant colonel de l’armée du roi Hassan II et de revenir se venger à Hay Salam, son quartier d’origine. Youssef est lui aussi de retour, pour liquider l’héritage familial, et peut-être le passé. Dans ses songes, Najib lui conte sa légende, celle d’un trafiquant de drogue qui se mue en « saint pédé de Salé », bienfaiteur débonnaire avide de conquérir le respect de ses anciens bourreaux. Troublé, Youssef y adjoint ses propres douleurs et traumatismes, auxquels se mêlent ceux des autres : les abus subis et que continuent de subir parfois les petits garçons, le mariage qui enferme ses six flamboyantes sœurs dans une forme d’esclavage domestique. Abdellah Taïa continue d’y flouter les frontières de l’autobiographie et de tisser une œuvre cohérente, importante, courageuse. De sa plume envoûtante, il dresse un portrait paradoxal et douloureux de Salé, cette ville fière et romanesque, où il lui est pourtant impossible de vivre.
Abdellah Taïa succède à Kev Lambert, récompensé l’an passé pour son roman « Que notre joie demeure » (Le Nouvel Attila). Le prix, soutenu par la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent et doté de 15 000 euros, lui sera remis ce mercredi 30 octobre, au musée Yves Saint Laurent, situé 5, avenue Marceau dans le XVIe arrondissement de Paris.
A noter : aux dernières nouvelles, le jury du prix Décembre est composé de Laure Adler, Claude Arnaud, Maxime Catroux, Charles Dantzig, Chloé Delaume, Christophe Honoré, Oriane Jeancourt-Galignani, Patricia Martin, Amélie Nothomb et Arnaud Viviant.
A noter encore : Les dernières nouvelles des prix littéraires se trouvent là.