Georg Steller n’a jamais réussi à ouvrir une route maritime entre l’Asie et l’Amérique. Mais il a rapporté d’une exploration partie en 1741 la description d’un animal hors norme, la rhytine, cousine du dugong. Curieusement, alors que la littérature de voyage est prolixe, les écrits de ce naturaliste allemand, mort au cours d’une expédition à 37 ans, n’ont été traduits qu’en allemand et en anglais, malgré leur intérêt manifeste.
Exterminée en trente ans
Steller étudie la théologie luthérienne (mais « se sentait plus proche de Dieu au jardin botanique qu’à l’église »), la botanique, la minéralogie, la médecine… Parti cartographier les côtes de Sibérie, il y passe quatre années glacées, traverse le Baïkal à la rame et le désert blanc tiré par des chiens de traîneau. Le naturaliste rêve alors de confins plus cléments, d’oiseaux marins (il fabrique lui-même ses pipes en os d’oiseaux) et d’une flore plus généreuse que celle des steppes enneigées. Mais sa maîtrise de la systématique, nourrie au bestiaire du naturaliste suisse Conrad Gessner, en fait un savant recherché, et c’est un connaisseur de nomenclature établie par Linné en 1735 dans son « Systema naturae » (Linné récupérera à sa mort les végétaux collectés par Steller dans l’Oural).
Il en fait, le 12 juillet 1742, une description étonnante, pleine de poésie autant que de rigueur scientifique
Embarqué sur le « Sviatoï Piotr » avec le capitaine Vitus Béring – qui avait donné son nom en 1728 au détroit séparant la Sibérie de l’Alaska –, Georg Steller observe et dépèce, dans les eaux de l’Arctique, une vache de mer énorme, riche en lait, en graisse, en viande et en fourrure, dont la peau ressemble à une vieille écorce. Il en fait, le 12 juillet 1742, une description étonnante, pleine de poésie autant que de rigueur scientifique. Il suffira de trente années pour exterminer, à force de le chasser, ce monstre marin nommé rhytine.
Souci de conserver
Un siècle après Steller, Alexandre von Nordmann, professeur de zoologie à l’université d’Helsinki, découvreur du diplozoon (un ver parasite du poisson), s’enquiert en 1851 auprès de Johan Hampus Furuhjelm, gouverneur de l’Alaska russe, de récupérer un squelette de rhytine. La notion d’extinction des espèces n’est pas encore en route, mais le souci de conserver des spécimens va désormais, chez les savants, au-delà du cabinet de curiosités. Iiada Turpeinen prolonge sa galerie de portraits par Evert Julius Bonsdorff, collectionneur de crânes humains, la peintre Hilda Obson, ou encore John Grönvall, restaurateur d’œufs, qui reconstitue, en 1952, le fameux squelette un peu bricolé par ses prédécesseurs.
L’autrice, dont la thèse portait sur les sciences naturelles dans la littérature, donne un texte qui oscille entre la non-fiction et le roman. Malicieuse, la scientifique cite dans les remerciements de ce « Beasts of Sea » – best-seller dans son pays et traduit dans une vingtaine de langues – un poisson à mains, 22 espèces d’amphibiens tropicaux qui ont disparu avant de recevoir un nom finnois et surtout le dernier scinque sylvestre (lézard) de l’île Christmas, mort pendant la rédaction de cet épatant ouvrage.
« À la recherche du vivant » de Iida Turpeinen, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, éd. Autrement, 22,50 €, ebook 14,99 €.