Des experts saluent le rapport qui a été présenté au gouvernement pour mieux se préparer à une prochaine pandémie.
Intitulé Il est temps d’agir, le document a été rendu public sur le site de Santé Canada la semaine dernière1. Ses auteurs, sept médecins provenant de différentes universités, ont discuté avec plus de 300 personnes impliquées dans la gestion de la COVID-19 pour émettre leurs recommandations.
Ils évoquent la nécessité, en situation de crise, de produire rapidement des données scientifiques sur lesquelles le gouvernement pourra s’appuyer pour prendre des décisions éclairées ; d’assurer une meilleure coordination entre les différents paliers décisionnels – en concertation avec les scientifiques ; de ménager les populations plus vulnérables (qui ont été les plus touchées par la pandémie) ; de financer la recherche…
Bref, selon les auteurs, des changements en profondeur doivent s’opérer pour qu’on soit mieux préparé advenant une nouvelle pandémie.
La Presse a sondé cinq acteurs du domaine, qui ont examiné la gestion de la crise sanitaire, mais qui n’ont pas participé au groupe de travail.
« C’est un excellent résumé des défis auxquels nous avons fait face », commente la Dre Caroline Quach-Thanh, microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine.
Même son de cloche chez la Dre Kelley Lee, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance de la santé dans le monde et professeure à l’Université Simon Fraser.
Le rapport identifie les “points faibles” qui ont entravé la coordination des efforts [pendant la pandémie]. Ces défaillances ont eu des répercussions immédiates sur le système de santé, mais aussi des implications à plus long terme sur la confiance du public dans le gouvernement et la science.
La Dre Kelley Lee, professeure à l’Université Simon Fraser
Pour le Dr Peter Singer, professeur émérite de l’Université de Toronto et ancien conseiller du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le document met le doigt sur des dysfonctionnements dans les rouages du système, lesquels ont eu des répercussions à plus haut niveau.
« C’est un peu comme la plomberie d’une maison : si elle ne fonctionne pas bien, on peut avoir de gros problèmes ! », lance le Dr Peter Singer.
Des bémols
Si, globalement, les experts interrogés par La Presse accueillent favorablement cette publication, certains ont relevé quelques lacunes.
Pour Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et auteur de l’essai Pandémie, quand la raison tombe malade, « toutes ces recommandations sont assez générales ». « C’est de la tarte aux pommes », ajoute-t-il.
M. Mousseau déplore que certaines stratégies présentées comme des solutions n’aient pas été quantifiées. Par exemple, le nombre de vies qui auraient pu être sauvées si Ottawa avait agi différemment.
Aussi, le rapport n’explore pas les mesures directes qui ont été mises en place – comme les vaccins, le confinement ou encore la fermeture des frontières.
« Il aurait fallu faire une analyse beaucoup plus détaillée de ce qu’on a bien ou mal fait pendant la pandémie, afin de faire des recommandations plus pointues et pertinentes », soutient M. Mousseau.
Pour Kevin Bardosh, anthropologue à l’École de santé publique de l’Université de Washington, les impacts sur la société et les libertés individuelles n’ont pas été abordés suffisamment en profondeur.
Il y a un biais systémique qui ressort : la Santé publique a tendance à surestimer les bénéfices de ses recommandations, et à minimiser leurs conséquences négatives.
Kevin Bardosh, anthropologue à l’École de santé publique de l’Université de Washington
« Durant la pandémie, on a créé une société où le monde avait peur, où on se voyait les uns les autres comme des dangers potentiels. Ça a eu de lourdes conséquences, qu’on subit encore aujourd’hui », croit-il.
Et maintenant ?
Selon tous les experts interrogés par La Presse, une question reste en suspens : le fédéral va-t-il tenir compte des conclusions du rapport, et si oui, à quelle échelle ?
« Je suis curieux de voir jusqu’où le gouvernement va aller dans l’application de ces recommandations », indique le Dr Peter Singer.
De tels documents concernant la gestion d’une crise sanitaire ont déjà été publiés : en 1993 pour faire face au VIH, ou encore en 2003 pour lutter contre le SARS. Bien que certains progrès aient été effectués depuis, « bon nombre des recommandations du rapport de 2003 demeurent importantes et sont reprises [ici] », indique-t-on dans celui de 2024.
« La balle est maintenant dans le camp du gouvernement », conclut le Dr Peter Singer.
La Presse a contacté Santé Canada lundi. Mardi soir, le Ministère n’avait pas encore répondu à nos questions.