Y aura-t-il des débordements à Lerm-et-Musset, dans la pinède girondine, comparables à ceux de Sainte-Soline (79) ? C’était la question que chacun – gendarmes, riverains, et les militants – se posait ce samedi 12 octobre. Mais la deuxième journée de « Freinage d’urgence », la mobilisation contre la LGV Bordeaux-Toulouse/Dax organisée par les collectifs LGV non merci et Les Soulèvements de la terre, est restée globalement festive et pédagogique. Hormis la destruction d’un fourgon de la gendarmerie ensablé dans un pare-feu, débordements il n’y a pas eu.
Les militants, entre 800 et 1 000 selon les gendarmes, s’étaient regroupés dès vendredi sur un camp installé dans le petit village du Sud-Gironde. Leur première nuit a été chahutée. « J’ai été réveillé vers 3 h 45 par le survol d’un hélicoptère avec la sirène à plein volume. Il est resté une demi-heure alors que tout le monde dormait. En réaction, il y a eu des tirs venant du camp, je pensais que tout le monde avait été contrôlé, il y a dû avoir des trous dans la raquette », regrette Philippe Barbedienne, le militant anti-LGV qui a prêté son terrain pour la manifestation.
Il ajoute : « Je suis fatigué, je laisse ma place aux jeunes. Ils sont intelligents et ingénieux, à eux de se battre avec leurs propres modes d’action. » Il ne participera pas aux divers « jeux » proposés ce samedi : « dixit naturaliste », « mille bornes contre les LGV » ou « Giga Kapla », le plus suivi.
De plus en plus de jeunes
Plusieurs centaines de manifestants partent pour une déambulation dans la forêt sur une dizaine de kilomètres. Direction les rives du Ciron pour ériger une vigie en bois, symbole d’un milieu naturel à préserver. Dans le cortège, les représentants des collectifs locaux défendent leur point de vue : « Les habitants du secteur sont majoritairement contre ce projet, explique Soazic Le Lann, du collectif Nina. Il détruirait l’un des rares milieux vivants préservés. C’est un milieu extrêmement diversifié et très riche, la loutre est là, le vison d’Europe aussi. On va perdre cette diversité et ce sera une perte pour tout le monde, pas seulement pour les gens d’ici. »
Dans le cortège, la majorité des militants ont moins de 30 ans, ils sont souvent habillés en noir et masqués. Ils revendiquent leur engagement dans la lutte écologique et craignent d’être fichés « éco-terroristes ». Certains portent des t-shirts Sea Shepherd (ONG de défense des océans), d’autres évoquent leur présence aux manifestations contre les bassines agricoles ou contre les carrières de sable. « On suit les luttes des Soulèvements de la terre, explique une Girondine de 20 ans. Leurs modes d’action sont plus efficaces que ce qu’on a testé. Je suis de la génération ‘‘Fridays for future’’, mais ces mouvements n’ont rien changé. »
Un groupe s’en prend aux forces de l’ordre
« Quels qu’ils soient, j’en ai marre des projets inutiles qui sont un non-sens écologique », s’exclame une jeune militante qui a manifesté contre l’A69 qui doit relier Toulouse à Castres. Tom, jeune metteur en scène, est venu de Rennes. En juillet, il était déjà à Melle, pour le Village de l’eau, contre les méga bassines. « Il y a un côté familial aujourd’hui. On voit des enfants, c’est une très bonne chose, explique-t-il. Les casseurs n’aident pas à faire passer le message anti-LGV. »
Au cours de l’après-midi pendant la construction de la vigie, un groupe d’une trentaine d’individus fait craindre un changement d’ambiance. Ils foncent vers les trois gendarmes postés en observation. Des tirs de projectiles visent les hommes en bleu qui répliquent avec quelques jets de bombe lacrymogène avant d’abandonner leur véhicule et de quitter les lieux. Le fourgon est alors saccagé.
L’action est restée isolée. La majorité des militants restent en retrait et tous sont invités à revenir se concentrer sur la vigie. Les membres des collectifs locaux qui s’allient pour la première fois aux Soulèvements de la terre, notent le changement dans les modes d’action. « Chacun lutte à sa façon. Je comprends qu’ils deviennent plus radicaux. C’est leur avenir. Ils n’ont plus rien à perdre, sauf le monde dans lequel ils vont vivre », juge une quinquagénaire. Hubert, septuagénaire, retient le côté positif « Il y a beaucoup de spontanéité. Ça nous redonne la pêche, nous qui luttons depuis le début. »
« On fait le pari de la composition, relève Marcelle, des Soulèvements de la terre. On n’a pas la même culture politique mais on n’a pas besoin d’être d’accord sur tout pour agir. » Forts de cette nouvelle alliance, les collectifs locaux envisagent déjà la prochaine mobilisation avec le même objectif « visibiliser la lutte et convaincre plus de militants de nous rejoindre ».