Après de multiples alertes de la société civile et des politiques, désormais, ce sont les services de l’État qui tirent la sonnette d’alarme. Le 15 novembre 2024, le média Contexte a dévoilé un rapport ministériel, daté de juin et demeuré confidentiel jusque-là. Au fil des près de 600 pages, l’Inspection générale des affaires sociale (Igas), le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) dressent un constat sans appel : la préservation des captages, ces ouvrages qui puisent de l’eau pour la distribuer ensuite, est un échec.
La préservation des captages, ces ouvrages qui puisent de l’eau pour la distribuer ensuite, est un échec
Le rapport dénonce en effet les « concentrations élevées de pesticides et de métabolites [une molécule qui se crée après la dégradation d’une matière, NDLR] », dans les eaux brutes (avant traitement) comme dans les eaux distribuées. « Si dans un peu moins d’un tiers des départements, plus de 98 % de la population a été desservie par une eau respectant en permanence les limites de qualité pour les pesticides, dans 27 départements, cette proportion est inférieure à 80 % ». La moitié nord de la France est particulièrement concernée, à cause de la présence de la chloridazone desphényl, un métabolite issu d’un herbicide utilisé pour les cultures de betterave et désormais interdit. Le département de l’Aisne se trouve même, d’après les inspecteurs, « dans une situation préoccupante ».
Des failles
Autres failles estimées : l’absence d’harmonie nationale du suivi des pesticides et de leurs métabolites, l’absence de surveillance systématique de certaines molécules ou de la prise en compte de « l’effet cocktail » entre plusieurs molécules…
Au bout de la chaîne, au robinet, cinq substances chimiques sont pointées du doigt. Exemple : le Sud-Ouest est particulièrement concerné par le Chlorothalonil-R471811. Pour ce métabolite du chlorothalonil, un fongicide interdit en France depuis 2020, des dépassements du seuil réglementaire ont été constatés en Charente-Maritime ou dans la Vienne.
Une eau à la qualité dégradée, mais a priori pas dangereuse : « Vous avez deux types de seuils, explique Benoît Elleboode, le directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Un seuil d’alerte, réglementaire, qui fait qu’on demande au producteur d’eau de mettre en œuvre la conformation de l’eau, et un seuil sanitaire, où on alerte la population parce qu’il ne faut pas boire l’eau. »
« Il peut y avoir une différence énorme selon les pesticides entre les seuils, continue Bernard Legube, spécialiste en physico-chimie des eaux et traitement des eaux à l’université de Poitiers et président du conseil scientifique de l’agence de l’eau Adour-Garonne. Les seuils sanitaires sont définis sur la base de risques faibles, voir très faibles, de santé publique. »
Qui paye ?
C’est l’autre constat du rapport : l’inégalité de l’approvisionnement des Français en eau de qualité. Des eaux brutes (non traitées) qui ne répondent pas aux normes de qualité exigent des opérations complexes pour les rendre conformes. Et donc, un surcoût pour l’opérateur du captage, répercuté sur le consommateur, avec des différences selon les régions et le nombre de personnes approvisionnées. « Il est probable qu’avec le changement climatique et les besoins de changer certains réseaux, le coût des investissements nécessaire va augmenter », confirme Bernard Legube, qui estime que le prix du mètre cube pourrait ainsi doubler dans les prochaines années. Pour éviter de faire peser le poids du traitement de l’eau sur le seul consommateur, les auteurs du rapport souhaitent « augmenter leurs recettes obtenues par la redevance pour pollution diffuse », perçue sur la vente de produits phytopharmaceutiques. Et donc faire appliquer le fameux principe pollueur-payeur.
La dégradation de la qualité de l’eau entraîne également la fermeture de captages. Ce n’est pas une nouveauté, un rapport parlementaire lançait déjà l’alerte en décembre 2023. D’après les inspecteurs, qui citent l’Office français de la biodiversité, près de 12 500 ont été abandonnés sur la période 1980-2019. Aujourd’hui, il en reste environ 33 000. Une problématique nationale, à l’heure des sécheresses estivales.
Des pistes
Dans ce même rapport, les trois inspections proposent un plan d’action. Parmi elles, revoir la protection des aires de captages d’eau et instituer « une zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE) ». En cas d’absence de résultat, ils préconisent la mise en place de « mesures obligatoires de restriction, voire d’interdiction d’usages des produits phytopharmaceutiques sur ces aires ». Tout en précisant que celles-ci devront être accompagnées d’indemnités compensatoires pour les agriculteurs concernés. Un constat que partage Bernard Legube : « Il faut protéger les captages d’eau souterraine sur une aire la plus étendue possible de toute activité humaine. Pas uniquement agricoles : domestiques ou industrielles aussi. »