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Récit L’ex-humoriste déchu, poursuivi pour avoir blessé trois personnes, dont une femme qui a perdu son bébé in utero, a été condamné par le tribunal de Melun au terme d’une audience au cours de laquelle il a demandé pardon aux victimes.
En chemise blanche et veste sombre, Pierre Palmade a le regard vide. Une expression perdue qu’il va garder toute la longue journée de son procès, ce mercredi 20 novembre, à Melun, devant la foule des journalistes, trop nombreux pour tenir dans la petite salle. Pierre Palmade est accusé d’avoir, le 10 février 2023, provoqué un très grave accident de la route, en étant sous l’emprise de stupéfiants.
Face au président, l’ex-humoriste décrit longuement, de sa voix un peu perchée, bien reconnaissable, l’engrenage hallucinatoire qui a provoqué la tragédie. « J’avais commencé à me droguer le mercredi soir, chez moi, à Paris », explique-t-il. Ce qu’il raconte alors en détail, d’une voix neutre, paraît fou :
« Je faisais ça tous les mercredis soir depuis quatre ans, je m’injectais de la 3-MMC pour booster ma libido et avoir des relations sexuelles délurées et délirantes. C’est du chemsex, un mélange d’addiction à la drogue et d’addiction au sexe. On fait du sexe sous drogue. J’ai commencé le mercredi, j’ai continué jusqu’au jeudi soir. Puis j’en avais marre d’être chez moi, c’était crade, il y avait du sang et des seringues partout. »
Trois jours de chemsex
Pierre Palmade demande alors à deux comparses, Andrea, « un ex-escort en transition de genre », et « Mohcine », de le suivre en taxi dans sa maison de campagne. « Elle est complètement vide, parce que je l’ai mise en vente, dit-il. On y arrive au petit matin le vendredi. Mohcine qui ne se pique pas, se met de côté, et avec Andrea, on part faire du chemsex. Avec ces produits, on n’est jamais rassasiés, on est comme des zombis, nus, ensanglantés, c’est l’enfer. Ça dure jusqu’à 14 heures, on s’embrouille avec Andrea, il ne veut plus de sexe, moi si. On est drogués, je lui demande de partir. »
« Je suis embêté car je ne sais pas m’injecter, poursuit-il. Donc j’appelle Malik pour m’aider à me piquer et se piquer aussi, car il est très addict lui aussi. Andrea s’en va, on se retrouve Malik, Mohcine et moi. On décide de prolonger ce que je n’ose plus aujourd’hui appeler la fête, car c’était l’enfer. Vers 15 heures – 16 heures on fait du chemsex tous les trois, il n’y a plus à manger et boire, plus de produits pour se droguer. Je décide d’en commander de Paris. Le chemsex me fatigue, je reprends trois ou quatre lignes de cocaïne pour rester éveillé, et pouvoir conduire ma voiture à 6 kilomètres de là. »
Au volant, sous drogues et sans avoir dormi
Les trois hommes veulent acheter à boire et manger, et retirer de l’argent pour payer le dealer. Comment Pierre Palmade explique-t-il ce coup de volant brusque qui a projeté sa voiture sur la voie d’à côté, et provoqué la collision ? « Je suppose un épuisement de fatigue, soupire-t-il. C’est trois jours d’injections. Les soirées de chemsex, on finit jusqu’à épuisement généralement, on finit en s’évanouissant. J’ai dû m’évanouir. »
Au président du tribunal, qui ne comprend pas comment on peut décider de prendre des rails de coke pour « mieux » conduire, il répond :
« Dans le cerveau d’un drogué, il n’y a pas de prudence. Juste l’urgence de prendre cette voiture. »
Pour revenir à temps, pour le dealer. L’humoriste n’a gardé aucun souvenir de l’accident. « Je me vois sortir euphorique de la maison et après, c’est le noir. J’ouvre les yeux et je suis à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, deux amis et ma sœur devant moi. Je ne me souviens de rien, ni de l’accident, ni de la scène. On me dit : “Y a des blessés, une famille, un bébé mort”. Je ne comprends rien, je mets deux jours à réaliser que j’ai fait quelque chose de très grave. Je suis anéanti. »
Des victimes aux multiples séquelles
Pierre Palmade demande la permission de regarder les victimes et, sans attendre, se tourne :
« Je voudrais vous demander pardon du plus profond de mon cœur, sincèrement. »
Sur les bancs, la famille, estomaquée, fait « Non » de la tête, en silence. Yuksel Yakut, 39 ans, le conducteur de la voiture accidentée, ne parle pas trop le français. Il marche difficilement, avec une béquille, en grimaçant, vers la barre, et doit s’asseoir pour répondre aux questions. Son bras est bandé. Le père de trois enfants était en CDI dans le bâtiment, au moment de l’accident. « Ce jour-là je roulais doucement, parce que j’avais ma belle-sœur enceinte dans la voiture », explique-t-il, via l’interprète. Il ne se souvient pas du reste.
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Après « cinq ou six opérations », un an à l’hôpital, il reste incapable de reprendre son travail dans le bâtiment, a perdu ses collègues, ses copains, ne joue plus au foot avec ses enfants. Son fils Devrim, qui était sur la banquette arrière, et dont le pronostic vital a été sérieusement engagé, n’est pas venu à l’audience. « Il a été de nombreuses fois hospitalisé, avant il était joyeux, actif, maintenant il a peur de tout », dit-il. Son avocat Mourad Battikh précisera dans sa plaidoirie les lourdes séquelles psychologiques et physiques du petit garçon à la mâchoire déviée, « dont les enfants se moquent à l’école » :
« C’est un équilibre familial qui a été sectionné […] Yuksel, Devrim, Mila ont perdu le goût de vivre. »
« Il a tué ma fille »
Mila, qui a demandé aux journalistes de préserver son anonymat, n’a pas besoin d’interprète pour expliquer sa peine. Son mari n’est pas là, « parce qu’il ne voulait pas se retrouver en face de ce monsieur, il est trop en colère », dit-elle. Au-delà des séquelles physiques, la jeune femme évoque surtout son incapacité de vivre depuis. Ce que les experts qualifient de « dépression réactionnelle caractérisée post-traumatique ».
« Il a tué ma fille, elle était entière, elle avait ses doigts, elle bougeait dans mon ventre », pleure la jeune femme. Ce ventre qu’elle « lave, mais ne regarde plus aujourd’hui ». Ce ventre qui a porté un deuxième bébé depuis.
« Je n’ai pas réussi à créer l’attachement avec cette nouvelle petite fille quand elle était dans mon ventre. Et depuis qu’elle est née, je n’arrive pas à la prendre dans mes bras. »
Elle pleure. Pierre Palmade écoute en silence, livide, les yeux baissés. Tout au long de ses auditions, et de ce procès, il évoque sa culpabilité : « J’ai tué un bébé, je me ressens comme un meurtrier » ; « Je suis obsédé par le bébé qui est mort… »
Reconnaître le fœtus comme étant une personne ?
La jeune femme travaillait avant l’accident pour l’Education nationale, comme assistante pour les élèves à problèmes. « Mais je ne me vois plus apporter de l’aide aujourd’hui, j’ai besoin d’aide moi-même. » Elle pleure. « J’attends vraiment que mon bébé mort apporte la clef d’un changement. » Ce changement auquel elle fait référence, c’est celui demandé par son avocat, qui cherche à faire requalifier les charges en « homicide involontaire ».
Le bébé de Mila était viable, à 27 semaines et 1 kilo, mais il est né mort, à cause du choc de l’accident. La loi ne lui reconnaît pas d’identité juridique, et donc pas la possibilité d’être victime d’homicide involontaire. Une décision « doctrinale, poussiéreuse et hors sol », tonne l’avocat, pour qui « ce procès donne l’occasion de rendre le droit meilleur ». Il voudrait que Pierre Palmade accepte là, maintenant, de comparaître volontairement pour homicide involontaire. « Est-ce que vous acceptez ? », demande le Président. « Euh, non », répond l’humoriste, qui ajoutera plus tard : « Cette question me dépasse juridiquement, la justice dit que ce n’est pas un homicide involontaire. »
« C’est comme un suicide, petit à petit »
Le procès, aujourd’hui, n’est pas celui de la loi. Mais bien celui de la drogue. Un addictologue vient témoigner à la barre de la puissance destructrice des dernières drogues type 3-MMC consommées par l’ex-humoriste. Pierre Palmade explique lui-même comment il a découvert la cocaïne à 21 ans. « J’étais débarrassé de l’embarras d’être homosexuel. C’était mal vu, à l’époque. J’ai trouvé que c’était un médicament, avant de devenir un poison, qui me délivrait de mon malaise d’être homosexuel. Vers 35 ans, j’ai arrêté cinq mois, j’ai rechuté. A partir de 2018, je suis passé aux injections de 3-MMC qui sont bien plus dévastatrices, elles m’ont rendu incapable de jouer sur scène, d’écrire, mes spectacles ont été annulés. C’est comme un suicide, petit à petit… J’ai perdu le goût à la vie, raconte-t-il, voix neutre, regard perdu. La drogue m’a gâché 30 ans de ma vie. »
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« Comment savez-vous que vous ne replongerez pas ? », lui demande le président, qui lui reproche notamment d’avoir replongé, malgré l’injonction de soins, quatre mois après l’accident. « Des images de vous ont tourné, sortant hagard d’une boîte de nuit, drogué, vous imaginez ce que ça fait aux victimes ? », sermonne-t-il. « J’étais seul à Bordeaux, dans la rue les gens m’invectivaient, j’ai accepté un verre dans un bar gay, puis je me suis laissé entraîner dans une discothèque gay, j’ai reconsommé, justifie mollement l’ex-humoriste. Ça ne suffit pas, les cures, il faut changer aussi son mode de vie, ses fréquentations. »
Assidu aux Narcotiques anonymes
Ses proches attestent à la barre de sa bonne volonté. Un ancien drogué, devenu « son parrain », le décrit assidu et humble aux séances des « Narcotiques anonymes ». Sa sœur témoigne de son enfance marquée par la mort, quand il avait 8 ans, de son père victime d’un accident de la route, de son hypersensibilité, de ses efforts aujourd’hui, maintenant qu’il habite à Bordeaux, auprès d’elle. Son avocate Céline Lasek plaide pour que les juges ne « versent pas dans l’exemplarité », sous prétexte qu’il est une star. « Sa vie a été étalée et exagérée dans ce qu’elle avait de plus glauque et sordide […] J’entends même maintenant dans les audiences l’expression “Il a fait une Palmade !”, proteste-t-elle. Il s’est fait cracher dessus dans la rue […] Mais vous n’avez pas un délinquant dans le dossier, c’est un homme qui a échoué […], un homme qui est aujourd’hui sur le chemin de guérison. Ne brisez pas son chemin. » Pierre Palmade la regarde en silence, toujours inexpressif.
« Et pour l’avenir, quels sont vos projets ? », lui demande le Président. « Dans un futur proche, rester à Bordeaux, Paris ne me rappelle pas de bons souvenirs. Continuer les soins, j’en ai besoin. Je ne pense pas rejouer sur scène un jour… Mais écrire des histoires, oui. Je ne sais faire que ça depuis que j’ai 20 ans. D’ailleurs, je retrouve des envies de vivre… J’ai 17 mois d’abstinence, je suis encore un bébé, mais j’aimerais faire passer le message, sur comment s’en sortir. » Il soupire. « Enfin, si on estime que je m’en suis sorti. »
La procureure, après avoir longuement expliqué la difficulté pour elle d’évaluer une peine, avec d’un côté la bonne conduite et les remords affichés de l’accusé ; de l’autre la nécessité de « sanctionner la faute commise, sachant qu’il y avait déjà eu des avertissements », requiert cinq ans de peine, dont deux ans de prison ferme. Le visage de Pierre Palmade ne bouge pas d’un centimètre, en l’écoutant. A un moment, lors du procès, il avait pourtant évoqué sa « peur de la prison ».
21h30. Après 1h30 de délibéré, le jugement tombe : il est effectivement condamné à cinq ans dont deux fermes, avec obligation de soins, de travailler, et d’indemniser les victimes. Pierre Palmade a écouté la condamnation debout, à la barre. « Avez-vous une dernière chose à dire ? », lui avait demandé le président, juste avant le délibéré. Il avait alors répondu :
« Si j’ai une seule pensée, c’est pour les victimes. J’espère qu’elles pourront se reconstruire, je les ai vues en vrai aujourd’hui, ça m’a choqué. »