Le Rivotril : une « drogue du viol » colorée en bleue
Dominique Pelicot filmait les scènes de viol de son épouse et les archivait dans son ordinateur. Sur certaines images, les coaccusés ont la langue bleue. Pas de doute pour les experts, cette coloration des muqueuses signale l’ingestion de Rivotril, un médicament antiépileptique buvable détourné en « drogue du viol ». Il a été si souvent utilisé à des fins criminelles qu’il est désormais coloré (depuis 2012, d’après la revue Prescrire) : non seulement, sa dilution dans une boisson est visible (sauf s’il s’agit d’un liquide très foncé), mais en plus son ingestion ne passe pas inaperçue.
Et si cet antiépileptique est le plus souvent administré à la victime, ainsi que le précisent les Annales de toxicologie analytique ; « cette molécule (clonazépam, de la famille des benzodiazépines) est fréquemment employée dans les cas de soumission chimique pour ses propriétés pharmacologiques et pharmacocinétiques particulières : délai d’action rapide, accompagné d’une sédation et d’une amnésie. »
Mais elle est aussi utilisée, à petites doses, par les auteurs eux-mêmes, pour ses effets désinhibiteurs et d’hypersexualité. En clair, elle favorise l’érection. C’est visiblement dans cette idée que certains des coaccusés avaient ingéré le médicament.
D’après un article du Monde, l’ajout d’un colorant vert dans les comprimés de Rohypnol (prescrit contre l’insomnie) en 1998 avait permis de réduire son utilisation criminelle.
GHB, MDMA, antalgiques, somnifères : quelles molécules ?
D’autres molécules sont utilisées dans le cadre de la soumission chimique, à l’instar des anxiolytiques, comme dans l’affaire Pelicot, ou l’affaire Fauviau, ce père de famille landais qui droguait les adversaires de ses enfants au tennis. Pour Sandrine Josso, la députée qui accuse le sénateur Joël Guerriau de l’avoir droguée, l’analyse de sang a prouvé la présence de GHB (gamma-hydroxybutyrate), « un dépresseur du système nerveux central » explique le Centre de toxicomanie et de santé mentale du Canada. Concrètement, « il a un effet sédatif, ralentit la respiration et le rythme cardiaque ».
D’après la dernière enquête de l’ANSM sur la soumission chimique, publiée en 2022, dans les substances incriminées, le bromazépam arrive en 1re position, suivi par le tramadol, la codéine (des antalgiques puissants), la zopiclone (un hypnotique sédatif prescrit contre l’insomnie) et l’hydroxyzine (tranquillisant). Enfin, la MDMA, qui n’est pas un médicament mais une drogue (ecstasy) qui a des effets psychotropes.
Glissé dans une boisson, l’alimentation, les cigarettes
C’est la plupart du temps dans la boisson alcoolisée (61 % des cas chez les adultes), le cannabis, les aliments et la cigarette roulée que la substance est glissée, à l’insu de la victime. Chez les adultes (15 ans). La prise de conscience collective du danger a induit le mouvement #balancetonbar.
Pour autant, les cas sont de plus en plus fréquents selon l’ANSM : une hausse exponentielle est observée depuis vingt ans.
Au total, 2197 déclarations ont été adressées au centre expert en 2022. Après évaluation des cas, 1229 agressions facilitées par les substances (AFS) ont été retenues dans l’enquête nationale, marquant une augmentation de 69,1 %. La majorité des cas exclus (797) étant des suspicions de « piqûres malveillantes ».
Les victimes : 82,5 % de femmes, et des enfants
Au total, 97 victimes, essentiellement féminines, dans 82,5 %. Et pas seulement des adultes : si l’âge moyen est de 24 ans, en 2022 les victimes avaient entre 9 mois et 90 ans. De fait, les statistiques montrent que 23 mineurs et 15 enfants de moins de 15 ans ont été touchés par le fléau.
Parmi les motivations, l’agression sexuelle est la principale cause (62,9 % sur 61 cas). La soumission chimique peut aussi être liée à des actes de violence physique, séquestration, vol ou cambriolage, traite humaine, actes de tortures et de barbarie, voire tentative d’homicide.
Les faits se produisent majoritairement dans un contexte festif (43,9 % sur 36 cas) pour adultes contrairement aux victimes enfants de moins de 15 ans, où généralement la soumission chimique intervient à la maison.
Les signes d’alertes
D’après l’association « M’endors pas » fondée par la fille de Gisèle Pelicot (Caroline Darian) et la députée Sandrine Josso, certains signes doivent alerter les victimes potentielles : « amnésie, somnolences (voire coma), troubles neurologiques (vertiges, convulsions…), troubles du comportement, troubles somatiques divers (nausées, vomissements…)